TERRITOIRES COMMUNS

Ici s’écrit, pas à pas, un récit sensible du projet en cours, en fusionnant différents moments de préparation, d’ateliers, d’arpentages, de rencontres, etc. et en tentant de redonner une place à chacun, chacune, dans une forme polyphonique.

Début du chemin // Septembre 2024   

Des histoires s’accumulent, celles des passeurs et des passeuses, des histoires de liens, que nous récoltons. Il y a par exemple ces phrases partagées en atelier, qui sont riches de potentialités et qui pourraient donner lieu à amples discussions, réflexions, écrits.

Il y a énormément d’actions de transitions qui se passent partout et qu’on ne voit pas, mais le savoir nous positionne différemment.

La main prend le pas. Il faudrait revenir à des systèmes plus rustiques, mais comment faire pour que ce soit acceptable ?

J’ai l’impression que nous avons perdu des sens que nous ne savons plus utiliser.

Mais le temps des ateliers est court pour développer toutes ces idées. Nous faisons des propositions de “chemins de traverse” pour tendre un fil entre les ateliers, continuer à « se situer », ancrer dans notre quotidien ce que nous traversons. Il s’agit d’écrire, de rêver dehors, de ralentir, ou simplement de regarder autour de soi. Nous comptons sur les passeurs et passeuses pour creuser les questions à leur rythme. Il y a celles et ceux qui arrivent à le faire, et celles et ceux auxquels le temps manque. Pourtant, c’est parfois simplement cela : beaucoup de questionnements et de découvertes ; ressentir pleinement qu’il faut prendre le temps ; l’écoute de quelques philosophes comme Hartmut Rosa ; une augmentation de ma sensibilité et de ma réceptivité ; un lâcher-prise, laisser pousser dans le jardin, l’envie de reprendre mon vélo ; raconter les ateliers à mes parents et grands-parents qui sont fiers de voir que je m’intéresse à notre lieu de famille, au territoire de Combrit … Même si certains, déjà personnellement investis dans ce premier mouvement d’attention au vivant, attendent de passer de la réflexion individuelle à l’action collective. Même si d’autres ont hâte de gestes plus concrets et ne savent pas encore comment raconter ce que l’on fait dans le projet, car c’est encore flou, car on avance sans savoir où l’on va. Nous répondons que le cadre nous permet de rester ouverts aux envies, nous donne la possibilité de co-construire au fur et à mesure avec les désirs des uns et des autres. Nous récoltons toutes les idées qui sont formulées. Nous nous dirigeons vers un projet d’objet collectif (livre et cartographie) et avons le souhait d’initier des actions de transitions sur le territoire. 

Puis il y a des départs. De 15 passeurs et passeuses recrutées, nous continuons d’échanger avec une dizaine de personnes. Ce qui nous amène à réfléchir, d’une part à trouver une façon de maintenir dans la constellation du projet les gens qui prennent de la distance par manque de temps, d’autre part à introduire de nouvelles personnes pour la suite du chemin à parcourir ensemble. 

Nous commençons le cycle « Explorer », dans l’idée d’une exploration sensible, vivante, spontanée, éveillée. En partant à la fois de notre ignorance et de notre désir de connaître. Puisque, comme les animaux nous explorons notre territoire, nous l’observons, l’écoutons, l’humons, le palpons. Comme les enfants, nous sommes curieux du monde. Dans chaque relation, dans chaque variation, dans les singularités de chaque milieu de vie il y a de l’inexploré, et cet inexploré produit de l’émerveillement, écrit Baptiste Morizot,  (L’inexploré, éd. Wildproject, 2023). 

L’inexploré est tout ce qui nous reste à découvrir, pour renouer avec les vivants, mais aussi pour retraverser notre propre histoire d’humains et redevenir les indigènes, c’est-à-dire les fins connaisseurs, de nos territoires.

Virginie Gautier. Écrivaine et chercheuse. 

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Nous avons des territoires en commun // Juin 2024

Nous avons des territoires en commun. Chaque vivant, humain, animal, végétal, avec sa façon particulière d’habiter, d’occuper telle portion d’espace, de se mouvoir ou de se mettre en relation, fabrique son propre monde. Monde d’oiseaux en mouvement, monde des profondeurs racinaires, monde d’humains à la surface de la terre. Dans le projet « Territoires Communs » nous tentons de déplier ces mondes en partageant et en développant des récits, des expériences situées, des savoirs sensibles.

Nous traçons un chemin autour de verbes qui sont des gestes, des intentions, des balises. Ces balises nous guident à travers les saisons.

Printemps / Été / Automne / Hiver

Se situer / Explorer / Changer de point de vue / Imaginer / Atterrir

De « Se situer » à « Atterrir », voilà notre feuille de route. Un carnet de voyage pour tenter de mieux habiter le mot de transition et se forger une culture du vivant.

Bien sûr, nous avons des allié·es qui nous enseignent et nous nourrissent. Nous embarquons avec les voix et les écrits de Bruno Latour, Philippe Descola, Jean-Philippe Pierron, Estelle Zhong Mengual, Baptiste Morizot, Rob Hopkins, David Abram, et d’autres.

Nous convoquons également chaque mois d’autres vivants. En avril, les premières hirondelles de rivage qui sont arrivées d’Afrique méridionale. En mai, la floraison des orchis bouffon. En juin, une espèce de lépidoptère, papillon crème et orange appelé Aurore, qui dépose ses œufs sur les cardamines.

En écrivant des formes d’éco-biographies, nous cherchons à nous souvenir d’un lieu ou d’un être dont la rencontre nous habite encore. Nos enfances nous rapprochent de nos attachements au territoire-monde et à celles et ceux qui le peuple. Ainsi, nous collectons et partageons des récits dans lesquels apparaissent une petite colline de pierre et de ronces, un ruisseau, une passerelle, des lianes, un châtaignier creux où entrer, une ou de plusieurs cabanes, un bassin aux poissons, une fourmilière, un piège à vipères et d’un grand-père qui instruisait au silence et à la rêverie.

Ce qui nous revient de l’enfance ce sont des espaces vécus, des lieux, des liens, c’est du temps. L’enfance comme une longue traversée pour regarder, sentir, écouter. S’inventer des activités. Imaginer, rêver. Jean-Philippe Pierron pose la question : avons-nous déjà eu l’occasion, dans l’endroit où nous vivons aujourd’hui, d’expérimenter une rencontre de nature équivalente à celle de notre enfance ?

J’ai travaillé pour deux personnes très différentes de moi mais on s’est découverts peu à peu et vraiment rencontrés à travers notre passion pour les arbres.

Le lien que j’avais à la nature s’est évaporé quand j’étais élève en seconde générale, je l’ai retrouvé dans ma réorientation en GMNF, Gestion des Milieux Naturels et de la Faune.

Je me reconnecte dans les choses que j’observe, le rapport au ciel, aux cycles de la vie, au cosmos, à la forêt, chaque endroit qui met mes sens en éveil.

J’ai l’impression qu’il y a des sens que nous ne savons plus utiliser.

Je dois faire un forage pour trouver une source, mais où creuser ? Au départ, j’ai pensé contacter un ingénieur hydrogéologue. Les gens m’ont dit de faire venir un bon sourcier.

Le confinement pour moi c’était un cadeau, une reconnexion avec le ciel, la terre et nous, les humains.

Je suis dans une période où j’ai un peu moins de contraintes, alors le temps dont je dispose, je le consacre au dehors.

Je m’investis dans une parcelle de jardin partagé.

Ce sont de bons points de départ pour voyager.

Virginie Gautier. Écrivaine et chercheuse.